Le Bonheur en temps de covid-19

20 mars 2020

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Opinion du Professeur Lieven Annemans, économiste de la santé et du bien-être et titulaire de la chaire NN consacrée au bonheur à l’Université de Gand (UGent).

Aujourd’hui c’est la Journée internationale du bonheur. Pourtant, il semble ne pas y avoir beaucoup de raisons de se sentir heureux. En effet, un tout petit organisme composé de matériel génétique et arborant une drôle de coiffure, domine nos vies. Le virus de la famille corona est différent de ses frères et sœurs. Au début, beaucoup de gens – y compris certains experts – pensaient que le sars-cov-2 (le nom officiel de la créature) ne se développerait pas aussi rapidement. Les premiers signes indiquaient un virus sensiblement moins mortel que le célèbre virus sars du début de ce siècle, mais bien plus contagieux. Certains le comparaient avec le virus de la grippe, mais plus fort.

Ce virus de la grippe n’est pas non plus une mauviette : dans notre seul pays, il est responsable de centaines de milliers de malades et de centaines de décès chaque année. Mais nous avons appris à vivre avec.  Aujourd’hui, la situation est différente : ce nouveau coronavirus est un client très dangereux et surtout imprévisible. Les mesures que prennent de plus en plus de pays sont donc plus que nécessaires. Une équipe helvético-suédoise estime que – si nous appliquons les chiffres à la Belgique – il y aurait pu y avoir 1 million de cas et des dizaines de milliers de morts si rien n’avait été fait.  Seules des mesures draconiennes peuvent éviter un tel scénario apocalyptique.

Mais aujourd’hui nous en sommes-là, confinés chez nous. Et cette situation va encore durer car nous allons vraisemblablement emprunter le même chemin que d’autres pays, où l’épidémie a commencé plus tôt.

Et cela aura un impact sur notre bonheur ! Si l’on considère les conditions de base nécessaires pour vivre une vie heureuse, une situation financière sûre est souvent la première chose qui nous vient à l’esprit : bénéficier de ressources financières suffisantes pour pouvoir se loger convenablement, pour pouvoir acheter à boire et à manger, et pour pouvoir s’habiller et prendre soin de soi. En cette période de crise du coronavirus, le chômage économique a déjà été demandé pour 400.000 personnes, et ce n’est qu’un début. Les réseaux contre la pauvreté soulignent également que pendant cette crise, les personnes en situation de pauvreté sont encore plus exposées au risque d’isolement social et ne bénéficient pas d’une aide essentielle. Plusieurs économistes font déjà des propositions concrètes pour lutter contre les futurs bouleversements financiers. Il reste à espérer que leurs voix seront entendues.

Outre les conséquences financières, il y a aussi l’incertitude quant à l’évolution de la maladie et de la crise. « Combien de temps cela prendra-t-il ? », « qu’est-ce que j’ai le droit de faire et qu’est-ce que je n’ai pas le droit de faire ? », « jusqu’à quand les mesures resteront-elles d’application ? ». À la moindre quinte de toux ou éternuement, beaucoup ont peur d’avoir attrapé le virus. L’incertitude rend malheureux. L’information est une arme non négligeable pour combattre cette incertitude, et la politique et les experts ont également un rôle crucial à jouer. En montrant aux gens ce à quoi ils peuvent s’attendre et en partageant avec la population, de manière totalement transparente, des chiffres sur les scénarios les plus favorables et les plus défavorables, nous leur apportons un certain réconfort. Donner de l’espoir aide toujours. Lorsque, par exemple, une revue scientifique réputée mentionne un médicament qui semble être efficace contre les complications du virus, il est important de le communiquer à la population, par les canaux officiels et les médias, car l’espoir fait vivre.

Et bien sûr, nos relations sociales sont également d’une grande importance. Comment interagir avec les autres, comment devons-nous nous-mêmes nous comporter en ces temps difficiles ? Nous voyons émerger de nombreuses initiatives de solidarité, et cela ne peut qu’être encouragé.

Mais il y a aussi des risques prononcés. Certains vivent plus que jamais dans la solitude, tandis que d’autres vivent les uns sur les autres. Et cela conduit à des tensions supplémentaires et donne naissance à des émotions négatives, parfois aussi à des violences verbales et autres. Afin d’éviter d’en arriver là, nous pouvons nous-mêmes agir en laissant notre esprit revenir au calme. Accordez-vous, à vous comme aux autres, un temps de pause. Pour ce faire,  éloignez votre smartphone, concentrez-vous quelques minutes sur votre respiration, écoutez de la musique douce ou essayez la méditation. Un peu d’introspection ne peut certainement pas faire de mal.

Tenir des discours négatifs tels que : « Le monde est foutu » ou « ça ne s’arrangera jamais » est contre-productif pour votre santé mentale, et engendre généralement des discussions stériles. Mieux vaut investir son énergie à témoigner de la chaleur et de l’amitié les uns aux autres, même par voies numériques. Raconter des histoires au coin du feu virtuel stimule les liens, et sans pollution. Continuer à bouger, chacun selon ses propres capacités, est également essentiel pour le corps et l’esprit. Et puis, on a enfin l’occasion de consacrer le temps dont on dispose à faire des choses plus significatives. Les soignants, les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé et ceux qui nous fournissent en nourriture et autres produits de première nécessité le font plus que jamais, et ils méritent notre plus grand respect. Mais ceux qui sont obligés de rester à la maison peuvent en profiter pour se rendre utiles (en contactant (digitalement) une personne seule, en allant faire les courses pour d’autres personnes, en mettant en place une action) et pour se développer personnellement (apprendre une langue, faire des choses créatives,…). Même en respectant les limites, les possibilités sont infinies !

Il ne s’agit pas d’un véritable #lockdown de l’ensemble du pays. Il s’agit plutôt d’un #lookup et ce, dans les deux sens possibles du terme. Nous regardons tant en haut que devant nous, et nous cherchons à mettre des choses en place pour les autres, mais pour nous également. Nous partons à la recherche de l’essence du bonheur. Et qui sait, cela nous mènera peut-être à une société nouvelle et meilleure.

Lieven Annemans est professeur d’économie de la santé et du bien-être et titulaire de la chaire NN sur le bonheur à l’Université de Gand (UGent).